Étude - Microbiote et translocation bactérienne

2021 Financement de l'AFE : 58 000 € 
Chercheurs : Y. Dauvilliers, Dr Sofiène Chenini – CHU Montpelier


1. Justification scientifique et description générale :

Le syndrome des jambes sans repos (SJSR), ou maladie de Willis-Ekbom est une pathologie neurologique fréquente et invalidante. Elle se définit par un impérieux besoin de bouger les jambes, accompagné parfois de sensations désagréable, amélioré par le mouvement, aggravé par l’immobilité, avec une recrudescence vespérale. Le SJSR est souvent associé à des mouvements périodiques des jambes (MPJ). Les mécanismes physiopathologiques sont encore mal connus. Toutefois, la fréquence élevée de SJSR chez les patients avec une anémie ferriprive, les donneurs de sang et l’amélioration des impatiences après supplémentation martiale suggèrent un rôle majeur de la carence en fer dans la physiopathologie du SJSR. L’absorption du fer se fait essentiellement dans la partie proximale de l’intestin grêle, elle se fait de manière active par les entérocytes. Après l’internalisation, le fer est stocké dans la cellule par la ferritine, puis libéré au pôle basal de la cellule entérocytaire par la ferroportine.
 
La sortie de fer au niveau de la ferroportine peut être bloquée par l’hepcidine. Ces deux protéines, ferroportine et hepcidine, sont les deux protéines majeures de la régulation de l’absorption du fer au niveau intestinal. L’hepcidine est produite par le foie de manière proportionnelle à la quantité de fer disponible. Une diminution de la réserve martiale entraîne une diminution de production d’hepcidine et donc, une augmentation de l’absorption de fer alimentaire. Toutefois, l’hepcidine est aussi une protéine de l’inflammation produite en réponse aux cytokines inflammatoires comme l’interleukine-6, ainsi impliquée dans l’anémie des maladies inflammatoires chroniques en diminuant l’absorption et du recyclage du fer. Nous avons pumontrer récemment une augmentation de l’hepcidine plasmatique chez les patients avec SJSR avec une association avec la sévérité du SJSR et ce indépendamment des taux de ferritinémie. L’hepcidine semble d’ailleurs un biomarqueur plus sensible et plus spécifique que la ferritine chez les patients avec SJSR.
 
Le microbiote intestinal est constitué de l’ensemble des microorganismes principalement de bactéries non pathogène, qui colonisent le tractus digestif. Le microbiote intestinal joue un rôle majeur dans la digestion et l’absorption des nutriments essentiels tels que le fer nécessaire au bon fonctionnement du corps humain. En premier lieu, Helicobacter pylori entraîne fréquemment des anémies ferriprives ou des déficits en fer par différents mécanismes; toutefois d’autres bactéries comme les lactobacilles pourraient être impliqués.
 
Des études ont également démontré que le microbiote intestinal est impliqué dans le développement et la modulation du système immunitaire. En effet, un déséquilibre du microbiote intestinal, appelé dysbiose, peut entrainer une inflammation de l’épithélium intestinal, augmenter sa perméabilité et favoriser le passage de microorganismes et ainsi, activer le système immunitaire entrainant une inflammation chronique. Par conséquent, la dysbiose peut être à l’origine de malabsorption des nutriments, de trouble fonctionnel de l’intestin (syndrome du côlon irritable), de maladies inflammatoires chronique du tube digestif (rectocolite hémorragique, maladie de Crohn), mais également de maladies métaboliques (diabète type 2, obésité, maladies cardiovasculaires), auto-immunes en modifiant la microglie notamment, et neurodégénératives (maladie de Parkinson et d’Alzheimer).
 
De nombreuses études ont montrés une association entre les pathologies intestinales et le SJSR. Ainsi les syndromes de malabsorption (Maladie Biermer, maladie cœliaques), les pathologies digestives inflammatoires (Crohn, rectocolite hémorragique), les chirurgies digestives (type chirurgie bariatrique) sont plus fréquentes chez les patients avec un SJSR. De plus, le SJSR et la dysbiose sont tous deux associés aux maladies métaboliques et à lamaladie de Parkinson. Ces associations entre pathologies digestives et SJSR peuvent être expliquées par une dysbiose, à l’origine d’un défaut d’absorption du fer et/ou une diminution de sa biodisponibilité secondaire à la sécrétion d’hepcidine (principal régulateur
du fer) lors de l’inflammation chronique de bas grade, ou à une atteinte du système nerveux central plus directement avec l’axe intestin cerveau. Toutefois, aucune étude à ce jour ne s’est intéressée au microbiote intestinal dans le SJSR.
 

2. Hypothèse de la recherche :

Nous émettons l’hypothèse qu’il existe un déséquilibre du microbiote intestinal chez les patients avec un SJSR par rapport aux témoins, se traduisant par une différence dans la diversité et l’abondance du microbiote, ainsi qu’une augmentation de la perméabilité de l’intestin avec translocation microbienne. Cette dysbiose pourrait être à l’origine d’une carence martiale par défaut d’absorption ou par diminution de la biodisponibilité du fer lors de l’inflammation chronique de bas grade.
 

3. Objectifs

a. Objectif primaire
Comparer les caractéristiques taxonomiques du microbiote entre des patients atteints de SJSR idiopathique et des témoins appareillés en âge, sexe et index de masse corporel (IMC).
b. Objectifs secondaires
  • Comparer l’inflammation digestive, la perméabilité intestinale et la translocation microbienne dans le sang entre les patients et les témoins.
  • Etudier les caractéristiques taxonomiques du microbiote intestinal, l’inflammation digestive, la perméabilité intestinale et la translocation microbienne en fonction des caractéristiques cliniques (âge de début de la maladie, sévérité du SJSR, présence de MPJ si données disponibles), et biologiques (numération formule sanguine, ferritine, CRP, coefficient de saturation de transferrine, hepcidine, IL6)

4. Type d’étude :

Il s’agit d’une étude monocentrique cas-témoins exploratoire
 

5. Sélection de la population :

Au total, 50 patients avec SJSR seront inclus et 50 témoins appariés en âge +/- 5 ans, sexe et indice de masse corporelle aux patients SJSR, et recrutés dans les unités de sommeil.
a. Modalité de recrutement :
Le recrutement des patients se fera au sein de la file active des patients suivis en consultation, par les praticiens exerçant au sein de l'unité des troubles du sommeil, Département de Neurologie, CHU Gui de Chauliac, Montpellier. Le recrutement des témoins se fera via des annonces ou via un recrutement pour un autre trouble du sommeil type insomnie. Les patients et témoins seront informés des objectifs et du déroulement de l’étude lors d’une consultation médicale avec le médecin référent. Après un délai de réflexion suffisant, le consentement libre, éclairé et écrit des patients sera recueilli après une note d’information et des explications de la part d’un des investigateurs. Le formulaire de consentement sera daté et signé personnellement par le participant à la recherche et l'investigateur (original archivé par l'investigateur, une copie sera remise au participant à la recherche). Durée du projet : 2 ans.

b. Critère d’inclusion pour les patients
  • Patient adulte avec un SJSR idiopathique diagnostiqué en fonction des 5 critères clinique du SJSR établis par l’IRLSSG avec un SJSR modéré a très sévère, IRLSSG questionnaire ≥ 15.
  • Absence de traitement du SJSR dans les 15 jours précédant l’inclusion: agonistes dopaminergiques, alpha-2delta ligands, opioïdes ou autres psychotropes.
  • Absence de pathologies digestives, inflammatoires, psychiatriques ou neurologiques.
  • Absence de supplémentation martiale dans les 6 mois.
  • Absence de prise de traitement connus pour aggraver ou provoquer le SJSR tel que les antidépresseurs, les neuroleptiques, les antihistaminiques ou de lithium.
  • Sujets ayant accepté que leurs données confidentielles et anonymisées fassent l’objet d’un traitement automatisé.
  • Sujet étant affilié ou bénéficiaire d’un régime d’assurance maladie.
c. Critère d’inclusion pour les témoins
  • Absence de SJSR, de maladies gastro-intestinales, inflammatoires, psychiatriques ou neurologiques.
  • Absence de MPJ (seuil <15 par heure si une polysomnographie est réalisée).
  • Age > 18ans
  • Absence d’antidépresseur, de neuroleptique, d’antihistaminique, de lithium, antiépileptiques, benzodiazépines, hypnotiques, opiacé, agoniste dopaminergique, levodopa, alpha-2delta ligands.
  • Sujets ayant accepté que leurs données confidentielles et anonymisées fassent l’objet d’un traitement automatisé.
  • Sujet étant affilié ou bénéficiaire d’un régime d’assurance maladie.

6. Description de l’intervention :

  •  Prélèvement de selles pour l’étude du microbiote intestinal
  • Prélèvement sanguins pour le bilan biologique et la recherche d’inflammation intestinale et la translocation microbienne.
Une fécothéque et une plasmathèque seront constituées, congelées et stockées dans des congélateurs à -80°C dans les CHU de Montpellier-Nîmes (CRB) sous la responsabilité des Prs Lavigne et Dauvilliers pendant 15 ans à l’issue de la recherche. L’étude du microbiote intestinal : elle consistera en une approche par metabarcoding des régions V3-V4 de l’ARNr 16S. L’étude de la translocation bactérienne sera réalisée : (1) par technique ELISA pour les marqueurs de perméabilité membranaire (I-FABP, claudine) et d’inflammation intestinale (CD14s, LBP) et (2) par qPCR 16S et 18S pour les marqueurs directs de translocation. Durée de la participation de chaque sujet : 1 jour pour les patients et les témoins.
 

7. Critères de jugements

a. Principal :
  • Caractéristiques taxonomiques du microbiote intestinal : diversité (alpha et beta) abondance, nature et quantification relatives des genres bactériens et des unités taxonomique bactérienne (OTU) présents dans les échantillons de selles identifiés par meta-génomique.
b. Secondaires:
  • Rapport entre Firmicutes et Bacteroidetes (phyla majoritaire); richesse, diversité et importance des phyla minoritaires dans selles, répartition et importance des genres bactériens chez les patients et les témoins.
  • Marqueurs d’inflammation intestinale (CD14s, LBP), de perméabilité digestive (I-FABP, claudine) et de translocation microbienne (16S et 18SrDNA) identifiées dans les plasmas des patients et des témoins.
  • Correspondance entre bactéries identifiées par quantification relative des genres bactériens et des OTU présents dans les selles et celles détectées par qPCR dans le plasma.
c. Autre données à recueillir
  • Caractéristique clinique et sociodémographique des participants : âge, niveau éducation, index de masse corporel, antécédent de maladies chroniques, traitement habituel, questionnaire SCOPA incluant l’évaluation de plaintes de troubles digestifs.
  • Caractéristique clinique des patients avec un SJSR ; âge de début des symptômes, âge des symptômes quotidiens, antécédents familiaux de SJSR, sévérité des symptômes, sévérité de l’insomnie, de la somnolence et des symptômes dépressifs.
  • Bilan biologique : numération formule sanguine, ferritine, CRP, coefficient de saturation de transférine, hepcidine, Interleukine 6.
  • Caractéristiques polysomnographies si enregistrement de sommeil réalisé pour les patients et témoins (données collectées si disponible) : indexe des MPJ en sommeil, MPJ éveillant MPJ en veille, Latence d’endormissement, temps total de sommeil.

8. Analyse statistique

Nous nous sommes basés sur les résultats significatifs issus de notre première étude comparant 35 patients avec narcolepsie de type 1 et 41 témoins (Lecomte et al 2020). Nous prévoyons ainsi 50 sujets par groupe. Il n’y a pas à ce jour de consensus sur une méthode permettant de calculer un nombre de sujets nécessaire dans les études sur le microbiote intestinal en lien avec une distribution particulièrement hétérogène en abondance et diversité.
 
Notre étude inclura 50 patients avec SJSR et 50 sujets témoins. Ce NSN est cohérent avec une étude exploratoire (Lecomte et al 2020) et permettra de conclure statistiquement avec une puissance > 80% pour des associations de l’ordre de grandeur de celle obtenue lors de notre étude précédente.
 
Pour chaque analyse, une description de l’échantillon, en termes de caractéristiques socio démographiques, mode de vie, santé sera réalisée. Les variables qualitatives seront représentées par les fréquences et pourcentages associés et les variables quantitatives par des moyennes et écart-type ou des médianes et intervalle interquartile selon la normalité de la distribution de la variable. La normalité sera vérifiée à l’aide d’un test de Shapiro-Wilk.
 
Analyse du critère de jugement principal :
Les critères de biodiversité alpha (indice de Shannon, nombre d’OTUs...) et beta (Bray-Curtis, UNIFRAC distances), nature et abondance relative des genres bactériens et des OTU (unités taxonomiques bactériennes) présents dans les échantillons de selles des sujets, identifiées par métagénomique seront comparés entre les patients SJSR et les témoins à l’aide de régression logistique conditionnelle en ajustant des facteurs de confusion potentiels tels que l’IMC. Des représentations graphiques de type « barplots », « heatmap », « ACP » seront réalisées à différents niveaux taxonomiques et de façon globale et pourront être stratifiées sur certaines caractéristiques jugées pertinentes telles que l’IMC. Une correction des p-values pour tests multiples sera réalisée à l’aide d’une méthode qui contrôle le FDR (False Discovery Rate).
 
Analyse des critères de jugement secondaires :
Selon la nature des variables à expliquer, des régressions logistiques non conditionnelles ou des régressions linéaires seront effectuées pour comparer les caractéristiques cliniques (âge de début des symptômes, durée d’évolution, sévérité des symptômes, comorbidités) avec la composition du microbiote intestinal chez les patients. L’identification de la concordance entre les genres bactériens identifiés dans le plasma et les genres bactériens et OTU présents dans les selles seront faite à l’aide de coefficient de corrélation de Spearman. Pour chaque objectif secondaire une correction sur tests multiples (FDR) pourra être envisagée. L’analyse sera faite sur SAS 9.4
 

9. Perspectives

Les perspectives attendues de cette étude sont d’ordre physiopathologique. En effet, l’étude du microbiote intestinal permettra de préciser le rôle de l’inflammation intestinale, la perméabilité intestinale et la translocation microbiennes dans la genèse du SJSR, ainsi que l’interaction du microbiote avec le métabolisme du fer et les marqueurs de l’inflammation systémique. Si cela est confirmé, des études seront ensuite nécessaires pour préciser le rôle bénéfique ou non d’une adjonction de probiotiques en cas de prolifération bactérienne de l’intestin grêle.